Il est à noter que dans cette étude, il n’est pas question d’une analyse exhaustive des adverbes yatto, dake et seulement. Le but étant d’éclaircir les causes des erreurs des apprenants et de réfléchir sur quels points nous devrons y prêter attention du point de vue de l’enseignement de la langue japonaise, nous nous contenterons de mettre en question les points communs et les différences décisives entre yatto, dake et seulement.
Nous voudrions ajouter que dans cette étude, les adverbes japonais yatto et dake n’ont pas été nécessairement traduits par seulement, bien que le sens des autres adverbes (notamment ne...que) soit proche de celui de seulement, nous ne nous intéresserons ici qu’à l’analyse de seulement.
Observons d’abord les exemples d’erreurs commises par des apprenants sur l’emploi de yatto :
Gakusei wo (→ kara)[1] kiita toki dake daisanzi wo sitte ita (→ sitta)
C’est en arrivant en salle (sic) que j’ai entendu les autres élèves parler d’un séisme, et de l’arrivée d’un tsunami au japon (sic).
Anzen titai wo saikin ni dake hendou (→ henkou) sita
avant d’enfin décider d’[augmenter la zone de sécurité] il y a quelques semaines
Sono toki dake hontou ni zisin to tunami no ookisa ga wakarimasita
Ce n’est qu’à ce moment-là que j’ai saisi la grandeur du séisme et du tsunami.
L’exemple (1) est une partie d’une phrase écrite par un apprenant de moins de deux ans d’études, (2) est une phrase écrite par un apprenant ayant étudié deux ans le japonais, et (3) est celle d’un étudiant dont le niveau de japonais est proche de celui d’un natif.
Dans les exemples (1), (2) et (3) les éléments qualifiés par dake sont tous des substantifs exprimant le temps. Dans l’exemple (1) il s’agit du moment où le narrateur a entendu les autres étudiants parler de la catastrophe (gakusei kara kiita toki), dans l’exemple (2) de quelques semaines auparavant (saikin ni dake), et dans l’exemple (3) de « ce moment-là » (sono toki). Or, à la différence de l’adverbe français seulement, l’adverbe japonais dake ne peut qualifier une expression indiquant le temps. Voyons ci-dessous précisément le sens et l’usage de ces trois adverbes.
Selon Mogi et Koga (2009), yatto exprime le fait que beaucoup de « ressources » (son temps, ses forces, l’argent, le fardeau psychologique…) ont été dépensées dans les dessous de la réalisation d’un état.
a. Kazoku yonin ga yatto kuraseru dake no kyuuryou
salaire avec lequel une famille de quatre personnes peut vivre tout juste (Mogi et Koga 2009 : 166)
b. Syukudai ha nakanaka owaranai. Mada yatto hanbun da
Je ne m’avance pas bien dans mes devoirs. Je ne suis qu’à la moitié. (ibid.)
c. Musume ha, mada yatto zyuu hassai da. Kekkon nanka tondemonai
Ma fille a à peine dix-huit ans. Il est hors de question qu’elle se marie déjà. (ibid.)
Nous pouvons interpréter (4) comme le fait qu’il faille investir de nouvelles ressources afin de maintenir l’état établi, et afin d’établir un nouvel état. Par conséquent, le moment d’investissement des ressources n’est en l’occurence pas mis en cause (il n’est pas nécessaire qu’il soit fait dans le passé).
De plus, dans Mogi et Koga (2009), il est mentionné l’idée de Palihawadana (2005b) selon laquelle yatto traduit une réalisation tardive comme exprimée dans (5a), et une sorte de retard comme dans (5b), donc une nuance d’un retour sur soi-même et de reproche.
a. Watasi, yatto “zibun ga warukatta“ tte wakattandesu
J’ai enfin compris que « c’était de ma faute ». (Mogi et Koga 2009 : 166)
b. Yatto ronbun ga kansei sita no ?
Tu as enfin achevé ta thèse ? (ibid.)
Palihawadana ajoute que yatto représente le fait que le temps écoulé entre le moment où la réalisation d’un événement a été reconnue par le locuteur et le moment où il se réalise réellement est ressenti psychologiquement comme long par le locuteur. Par conséquent, yatto révèle le sentiment de la part du locuteur d’avoir attendu, d’avoir fait un effort ou bien encore de s’être ennuyé jusqu’à la réalisation dudit événement.
Après le sens et l’usage de l’adverbe yatto, nous allons maintenant analyser ci-dessous ceux de dake.
Selon Saegusa (1988), l’adverbe dake s’utilise lorsqu’on veut mettre en valeur un élément en niant d’autres éléments. De la même façon, Teramura affirme que « X dake P » signifie que X coïncide avec P, et qu’implicitement d’autres éléments que X (non-X) ne coïncident pas avec P (donc non-X ne coïncide pas avec P) (Teramura 1991). Voyons l’exemple suivant tiré de Teramura (1991 : 152) :
Kare dake kita
Lui seulement est venu. (Teramura 1991 : 152)
L’exemple (6) signifie que le sujet « lui » est venu, mais aussi que personne d’autre que lui n’est venu.
Observons ensuite le cas où X est un substantif exprimant la quantité :
go nin dake kita
Cinq personnes seulement sont venues. (ibid.)
L’exemple (7) exprime le fait que cinq personnes sont venues et l’idée implicite qu’on s’attendait à ce que plus de cinq personnes viendraient. Par conséquent, (7) met en valeur le fait que le nombre de personnes réel a été inférieur à celui auquel le locuteur s’attendait.
Ajoutons que l’adverbe japonais dake ne peut qualifier une expression exprimant le temps. Si l’on revient aux exemples (1) à (3), la tournure correcte de ces exemples serait donc comme ci-dessous :
Gakusei kara kiite yatto daisanzi wo sitta.
Anzen titai wo saikin ni natte yatto henkou sita.
Sono toki ninatte yatto hontou ni jisin to tsunami no ookisa ga wakarimasita.
Résumons ici les différences entre yatto et dake. Comme nous l’avons indiqué dans 3.1., selon Palihawadana (2005b), yatto traduit une réalisation tardive et le fait qu’on a pris trop de temps, donc une nuance d’un retour sur soi-même et de reproche. Quant à dake qui est un adverbe de restriction, il met en valeur un élément ; et si cet élément est un substantif exprimant la quantité, dake montre implicitement le fait que la quantité réelle a été inférieure à la quantité à laquelle le locuteur s’attendait.
Nous avons étudié le sens et l’usage des adverbes japonais yatto et dake. Dans 4. nous allons analyser l’adverbe français seulement.
Nous venons d’indiquer dans 3.2., que dake met en valeur un élément et que « X dake P » signifie implicitement que d’autres éléments que X ne coïncident pas avec P. Il en est de même pour l’adverbe français seulement.
Marie seulement n’a pas compris le problème. (Nølke 1983 : 132)
En effet, (8) signifie qu’il n’est pas vrai que les personnes (en question) autres que Marie n’aient pas compris le problème, et revient à dire par conséquent, que toute autre personne a compris le problème.
Voyons les exemples (9) :
a. Il y avait quelques personnes. (Nølke 1983 : 129)
b. Il y avait seulement quelques personnes. (ibid.)
Nous remarquons que (9a) est orienté vers une conclusion positive. Nous pouvons en effet le faire suivre d’un énoncé tel que « il y avait même beaucoup de monde ». Quant à (9b), on pourrait par exemple le faire suivre de « mais pas beaucoup ».
Nous pouvons donc en déduire que l’introduction de seulement change l’orientation argumentative. À propos de ce changement d’orientation, nous tenons à préciser que seulement change toujours une orientation positive en une orientation négative, c’est-à-dire vers une conclusion du type « ce n’est pas beaucoup » (Nølke 1983 : 129-130). Cette conclusion est identique que dans le cas de dake, lorsque celui-ci qualifie une expression exprimant une quantité.
Observons d’abord l’exemple (10) :
Marie est revenue seulement à trois heures. (Nølke 1983 : 132)
L’adverbe français seulement ne fonctionne pas seulement en tant que restrictif mais il peut également être utilisé dans le sens de « pas plus tôt que » (ex : Il arrive seulement ce soir) comme dans (10). Celui-ci exprime donc que le locuteur s’attendait à ce que Marie revienne avant trois heures, et par conséquent, le fait que l’heure à laquelle Marie est revenue en réalité, est tardive. Par conséquent, le sens et l’usage de seulement sont proches de ceux de yatto.
Nous pouvons résumer notre analyse en disant que seulement exprime la restriction « en soulignant l’existence d’une seule chose à ajouter, à préciser » (Petit Robert : 1645), mais également le fait que l’on s’attendait à une quantité supérieure qu’en réalité, et le sentiment de déception, d’irritation du locuteur, qui s’attendait à ce que le fait se réalise plus tôt que le moment réel de la réalisation.
C’est probablement le fait que seulement contienne ces deux sens, qui conduit les locuteurs natifs de français à confondre yatto et dake. Cependant, nous avons montré dans les paragraphes précédents que dake ne peut qualifier les expressions de temps, et donc qu’il ne s’utilise qu’en tant qu’adverbe de restriction. Nous pouvons donc en déduire que dake est plus proche de l’adverbe uniquement, qui ne comporte que le sens de restriction.
En partant des exemples de confusion entre yatto et dake commises par des locuteurs natifs de français apprenant le japonais, nous avons essayé dans cette étude, d’éclaircir les causes de cette erreur.
Yatto exprime l’idée de « pas plus tôt », tandis que dake exprime l’idée de « uniquement » ou « pas beaucoup ». Par conséquent, celui-ci ne peut qualifier une expression exprimant le temps, à la différence de seulement qui contient en lui seul les fonctions des deux adverbes japonais. Pour que les locuteurs natifs de français ne confondent pas yatto et dake, nous devrions bien indiquer ces points lorsque nous enseignons le sens de ces deux adverbes japonais. Et, comme exercices, nous proposons de faire faire aux étudiants des exercices à trou sur yatto et dake afin de leur faire apprendre plus facilement quels éléments chaque adverbe peut ou non qualifier.
La confusion entre yatto et dake est un cas minoritaire, et elle a en outre été observée notamment chez les étudiants dont le niveau de japonais est relativement bas ou moyen. En revanche, la confusion entre sika et dake, ...desika nai et dake, se voit plus fréquemment, même parmi les étudiants dont le niveau de japonais est assez élevé. Nous discuterons ultérieurement des adverbes sika, ...desika nai également, et nous déterminerons, comme nous l’avons fait dans cette étude, les causes de ces erreurs ainsi que les moyens de résoudre ces problèmes.